lundi 16 avril 2012

Romans croisés

Ecrit en 1927,
Aux éditions Grasset collection poche
Préface et commentaire en 1987 
Par Jean Touzot
150 pages
Coup de ♥

Inspiré par l’affaire Blanche Canaby, ce roman raconte la vie de Thérèse a tenté d’empoisonner son mari. L’histoire commence au tribunal où le non lieu a été prononcé. Non lieu parce que le père de l’héroïne, figure politique de la région, a tout fait pour étouffer l’affaire pour ne pas salir son nom. Il ne faut pas beaucoup de pages pour savoir qu’il ne l’a pas fait pour amour pour sa fille mais pour l’honneur.

Dans le train qui la ramène chez elle et son mari, dans un village des Landes, Thérèse se remémore sa vie : la société dans laquelle elle a grandi, les mariages plus ou moins arrangés ; une famille pour laquelle les convenances comptent davantage que l’affection ; son amitié avec Anne éprise d’un garçon qui n’était pas de son rang et mais qui finalement s’est pliée au mariage arrangé par ses parents ; puis sa vie conjugale avec Bernard, lui aussi très sensible aux qu’en-dira-t-on, à l’avis du « clan », sa fille, Marie, dont elle ne s’est jamais sentie proche… C’est sans doute tout cela qui l’a poussé au crime : le dégoût de cette société étriquée où elle a évolué, le besoin de liberté, le mal d’être : elle n’a jamais pu s’en tenir à son rôle de femme, de mère, d’épouse : tout cela l’étouffe.

À son retour, tenue captive dans sa chambre par Bernard, Thérèse n’a plus le droit de participer à la vie de la maison. Combien de temps restera-t-elle enfermée ainsi ? Vous connaissez peut-être la fin... Je me souviens qu’on avait ce livre au programme de seconde. Il m’avait laissé un bon souvenir, mais en le relisant, j’en ai davantage apprécié la profondeur et je me rends compte qu’on a tout de même de la chance de ne pas être autant enfermée dans son sexe, ni dans son statut social en tant que femme européenne. L’écriture est très agréable et nous livre les émotions de l’héroïne de manière percutante tout en critiquant une société bourgeoise pleine de faux-semblant – Exquis !

J’avais décidé de relire Thérèse Desqueyroux pour le comparer avec L’honneur perdu de Katharina Blum d’Heinrich Böll, parce que, curieusement, en lisant « Der Zug war pünktlich », des images et l’atmosphère des deux romans me sont revenues en mémoire et j’ai trouvé les deux livres comparables. Wiki, et divers sites internet ont confirmé mon intuition en associant Mauriac et Böll et m’ont poussé à regarder cela de plus près… Avant de me lancer dans une comparaison très sommaire ( !) voyons un peu ce qui se passe chez Böll:

En 1976
Chez DTV
Avec une préface de l'auteur 10 ans plus tard
Pages 146

Le sous titre : « Wie Gewalt ensteht und wohin sie führen kann » (Comment naît la violence et où elle peut mener) ainsi que la phrase préambule « Personen und Handlung dieser Erzählung sind frei erfunden. Sollten sich bei der Schilderung gewisser journalistischer Praktiken Ähnlichkeiten mit den Praktiken der Bild-Zeitung ergeben haben, so sind diese Ähnlichkeiten weder beabsichtigt noch zufällig, sondern unvermeidlich » « Les personnes et les faits sont fictifs. Toutes ressemblances de certaines pratiques journalistiques décrite ici avec celle du journal Bild ne sont ni préméditées, ni dues au hasard mais inévitables. » nous font rentrer dans le vive du sujet. On sait déjà que « ça va déménager » et que l’auteur s’attaque à la presse à scandale (Bild – qui signifie image, photo, - est un journal people. » À côté, Voici et Closer sont softs… bref, de la presse de bas étage…

Voyons la narration de plus près : 1974. Katharina, une fille âgée de 27ans, divorcée de son mari, rencontre, au carnaval, Ludwig Götten, recherché pour ses crimes. C’est ainsi que la presse à scandales s’attaque à la vie privée de Katharina et publie articles sur articles sur sa vie privée en la taxant de terroriste et de trainée. Le Journal prétend également que Götten serait l’auteur d’un meurtre, or, il n’en est rien. Tout ce que publie le journal sur les deux personnages n’est que pure diffamation. La presse n’hésite pas à utiliser les évènements politiques de l’époque (la formation de la bande à Baader, de la RAF – rote Armee Fraktion- mouvement communiste voire terroriste) pour éveiller la peur des gens et véhiculer la calomnie de façon plus brutale encore.

C’est ainsi que la vie de Katharina, jeune fille intègre, se délite progressivement. Suite à ses articles, elle reçoit des appels anonymes, des lettres obscènes ; sa mère, très malade, meurt probablement à la suite de ces scandales. Katharina en vient à tuer l’un des reporters du « Journal » puis elle se rend de son plein-gré à la police pour avouer son meurtre. Blorna, son ami avocat, se laisse complètement aller, jusqu’à ressembler à un mendiant… Voilà les désastres causés par la presse à sensation.

Ce n’est pas un livre qui se lit sur un trajet Berlin – Dessau parce qu’il faut vraiment s’y retrouver au début entre tous les personnages évoqués et le style très factuel. Mais Böll, à travers cette façon d’écrire, qui s’éloigne singulièrement de celle de « Der Zug war pünktlich », a sans doute voulu accentuer l’impact de la presse sur des vies de gens plus ou moins ordinaires. Le roman ressemble assez à un roman policier : au début, les nombreux faits plongent le lecteur dans la perplexité puis tout se démêle au fil de l’histoire et les nombreuses pièces du puzzle trouvent leur place. J’ai plusieurs fois secoué la tête en lisant les déformations du « Journal », été sidérée de voir l’avocat tomber dans la déprime, bouilli de révolte en apprenant qu’une femme, parce qu’elle est intègre et serveuse, est présentée comme une trainée. Elle est donc, par la presse et la violence de leur propos, enfermée dans le statut de « salope ». Ce fait est encore plus clair lorsqu’elle rencontre, à la fin, le journaliste qui voulait la « sauter » (« bumsen » dans le texte)… On comprend vraiment pourquoi elle le tue…

Attention : Ceci est une comparaison grossière et si le cœur vous en dit, vous pouvez y mettre votre grain de sel. Ceci n’est qu’une brève esquisse, les règles de la « Littérature comparée » étant bien plus complexes : Il faut citer exactement les passages tirées des ouvrages ainsi que les pages (chose absente ici), il faudrait se pencher un minimum sur la littérature secondaire, voire étudier la réception de François Mauriac en Allemagne et savoir si Heinrich Böll l’a lu, connu, voire rencontré et s’il s’est inspiré volontairement de lui, dans L’honneur perdu de Katharina Blum ou dans d’autres ouvrages… Il nous faudrait une problématique, un plan détaillé… Il ne s’agit ici que de pistes dirigées par ma subjectivité.

Bien que d’une génération d’écart, les deux auteurs, Mauriac (1885 – 1970) et Böll (1917 – 1985), ont eu des vies assez semblables. Mauriac a servi à l’hôpital militaire pendant la première guerre mondiale (Tiens donc, ça ne vous rappelle pas quelque chose, [Lien wo warst du, Adam], ça ?) puis a publié Préséance (1922), très polémiqué au sein des milieux conservateurs. Il en est de même pour L’honneur perdu de Katharina Blum qui a été critiqué par une haute figure du CDU (parti concervateur). Si Mauriac a, dans son œuvre, critiqué avec véhémence le régime de Vichy et la société bourgeoise, Böll, lui, la guerre et la presse à scandale. L’auteur allemand a également fait partie du Pen club, une association pacifiste promouvant la liberté d’expression. Mauriac reçoit le prix Nobel de littérature en 1952, Böll, 20 ans plus tard.

Si Thérèse Desqueyroux se sent prise au piège de sa condition féminine et sociale, Katharina, elle, est enfermée dans un court-circuit cérébral véhiculé par la presse : « femme + serveuse = trainée ». Et le comble : elle tombe amoureuse d’un déserteur. Elle est alors une rebelle, une terroriste donc doublement une trainée… Double « faute », double court-circuit calamiteux. Par ailleurs, le sous titre de L’honneur perdu de Katharina Blum « comment naît la violence et où elle peut conduire » peut également s’appliquer à Thérèse Desqueyroux où la pression sociale de la bourgeoisie étriquée est bien plus insidieuse : la violence est certes moins visible que celle de la presse, mais elle est bien présente, elle enferme les femmes, surtout, dans un carcan étouffant dont elles ne peuvent se libérer qu’au prix d’un rejet implacable, d’une solitude destructrice. Cette pression, exercée par la presse ou l’entourage, peut pousser un être humain à commettre des actes graves, voire irréparables : Thérèse tente d’empoisonner son époux, Katharina tue un journaliste. Les deux auteurs décortiquent méthodiquement les mécanismes de la violence et de la pression : chez Desqueyroux, sous forme de souvenirs et de dialogues intérieurs et chez Böll, à la manière d’un roman policier.

Même si le style des deux romans est totalement différent, le caractère pamphlétaire est reconnaissable chez Böll, comme chez Mauriac. Dans L’honneur perdu de Katharina Blum il est d’amblée identifiable dans le préambule et dans certaines tournures du roman ; chez Mauriac, l’ironie est identifiable dans la figure du mari, Bernard, qui ne prend jamais position et s’en « remet à l’avis de la famille », propos qui apparaît à plusieurs reprises dans la bouche ce personnage creux, incapable de penser par lui-même, un peu comme les gens influencés par la presse à scandale. Ils ne font preuve d’aucune indépendance critique et se laissent formater passivement tels des oisillons attendant la nourriture, le bec ouvert.

Peut-on considérer ces deux romans comme féministes (si l’on accepte que des hommes peuvent écrire des ouvrages féministes) ? Peut-être, mais davantage chez Mauriac que chez Böll, qui lui, oriente sa critique surtout vers la presse et regrette, dans sa postface, de ne pas avoir été plus virulent encore…

4 commentaires:

Beah a dit…

Tu me donnes envie de lire les deux Pour le premier je l'ai déjà lu, mais c'était il y a très longtemps et je n'en ai pas un souvenir précis, je note ça sur ma liste. Bonne journée

Little Cat a dit…

@Beah: génial comme ça tu pourras en faire une note sur ton blog :-)

David a dit…

Comment naît la violence et où elle peut mener ??? Tout un programme !

Je trouve que tu souleves dans ce billet un point interessant ( qui n'a rien a voir avec la litterature comparée): Il est si simple de aire naitre la peur dans le coeur des gens, de les inciter a la haine et a la calomnie, de les onciter a juger sans essayer de comprendre !

J'aime bien ce passage ou tu parles de "Court-circuit cerebral" !
C'est exactement cela ! Et j'ai le sentiment que de plus en plus de gens sont conditionnés pour réagir a la demande a des "mots-clés" tels que femme + serveuse = Trainée ou encore Etranger + Musulman = Terroriste, Pauvre + minimas sociaux = profiteur, riche + belle voiture = Voleur, Feministe + libre = Frigide et j'en passe !

Instrumentalisation, quand tu nous tiens, tu serres pire qu'un pitt !

Little Cat a dit…

AH ouais carrément! combien de fois j'ai failli mordre le livre tellement j'étais outrée par les déformation ehontée du journal!!! Böll a fort bien démontré cette instrumentalisation malveillante!

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