mercredi 16 mai 2012

Recueillement

Chez Actes sud
En 2003
Traduit du hongrois par
Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba
144 pages

Comment parler de ce roman qui est en fait un kaddish, une prière que l'on récite lors des enterrements, un long monologue dans lequel le narrateur justifie le "Non" qu'il a prononcé lors d'une conversation avec le philosophe Oblàth, non à la procréation, non à la vie en quelque sorte? Les questions derrière ce refus sont: comment vivre sa judaïcité, la vie après Auschwitz? Peut-on expliquer la shoah et comment? Peut-on vivre et donner la vie après avoir vécu une telle horreur, faut-il lutter, combattre pour la vie ou mourir? C'est une mort à petit feu que le narrateur a choisi, comme une sorte de non-état: à la force de son travail d'écriture, de mémoire, méthodiquement, il creuse sa tombe vers les nuages, alors que sa femme, qui deviendra son ex-femme, elle, a décidé d'emprunter le chemin iverse: elle a choisi la vie, la négation de sa judaïcité, la lutte, la procréation. On entre dès le début dans le vive du sujet très clairement exprimée à travers l'extrait du poème de Paul Celan: la fugue de mort:

"Assombrissez les accents des violons alors vous montez
en fumée dans les airs
alors vous avez la tombe dans les nuages on n'y est pas
à l'étroit"

"...streicht dunkler die Geigen dann steigt ihr als
Rauch in die Luft
dann habt ihr ein Grab in den Wolken da liegt man
nicht eng"

D'ailleurs, on peut trouver des parallèles entre Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas et le Refus où les narrateurs se trouvent dans un "non-état", refusent une nouvelle vie, refusent de lutter, demeurent dans un non état inhérent à leur souffrance...

Si le narrateur ne raconte presque rien sur sa vie au camp sinon que "Monsieur l'instituteur" lui donna à manger et se sacrifia pour lui; en revanche, il relate son enfance à l'internat qu'il décrit comme absurde, où la peur et la culpabilité prédominent... Un peu comme dans les camps, en somme, où l'on paye très cher le fait d'être juif; où l'absurdité et la peur sont omniprésentes. Le sentiment de culpabilité et le malaise prennent alors racine, enfoncent leurs griffes de plus en plus profondément dans l'âme dans un chant triste et lancinant. D'où le style aux nombreuses répétitions et aux phrases très longues composées d'enchevêtrements.

Non, Kaddish pour l'enfant qui ne naîtra pas ne peut se lire sur une plage, ou un "page turner" et l'extraît du poème de Celan sonne déjà comme un avertissement. Bien que comportant un nombre de pages réduit, c'est une oeuvre qui se lit goutte à goutte et se pose entre deux pour réfléchir ou prendre des notes. A la fin de la lecture, je me suis sentie assez abbattue, réfléchissant sur la condition humaine, sur la place des hommes, sur le choix que l'on peut faire de vivre ou de mourrir à petit feu, sur la shoah, les crimes contre l'humanité et leurs conséquences. Je n'ai pas pu entammer un autre livre tout de suite après, j'avais un besoin vicéral de me recueillir.

Voici un passage qui a eu une résonance particulière en moi, à la page 62
"... elle demande que je la laisse enter dans [...] mon coeur, là elle regarde autour d'elle avec un sourire aimable et curieux, elle touche à tout avec ses mains délicates, elle aère les coins renfermés, époussette ceci, jette cela pour y mettre ses propres affaires, elle s'y installe joliment, confortablement et irrésistiblement, jusqu'à ce que je me rende compte qu'elle m'en a complètement chassé, si bien que c'est avec angoisse comme un étranger exilé, que je rôde autour de mon propre coeur qui ne m'apparaît plus que commeune lointaine porte fermée, comm aux sans-logis les foyers chaleureux des autres; et bien souvent, je ne pouvais réemménager que si je venais en tenant par la main une autre femme que j'installais à son tour." 


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